Heureusement, le nouveau venu s’occupa de l’ordinateur. Tu le laissas réparer tes bêtises, alors que l’agent Loscher parla des dossiers dans le bureau et tendit son bras. Légèrement réticente au début, tu l’acceptas finalement pour qu’il te guide vers un autre coin de la pièce. Ton regard tomba néanmoins sur les mains rugueuses du chef, et tu essayas de ne pas y penser. Ce n’était pas le moment de faire une dépression nerveuse, ou de tomber dans les pommes. Ce problème devait être résolu, et vite…

Tandis que Loscher ouvrit un tiroir pour entamer ses recherches, tu t’occupas d’une armoire, remplie à craquer de pochettes… ce serait long, peut-être un peu trop, de fouiller les dossiers un par un. Enfin, contrairement à l’ordinateur, tu avais peu de chance de changer la langue des documents par maladresse. Le pire que tu puisses faire, vraiment, c’était de les mélanger…

Ce qui finit par arriver, quand tu délogeas un dossier de l’armoire et que ceux adjacents le suivirent et s’écrasèrent par terre, leur contenu étalé sur le sol froid du bureau. Tu soufflas, avant de les ramasser et de remettre les feuilles dans le bon sens. Tant pis si ce n’était pas le bon ordre, ni même la bonne pochette, c’était stupide d’avoir des dossiers aussi facilement renversables de toute façon.

— Oui, dis-tu après que l’agent Loscher ait confié la tâche au nouveau venu. Et si vous ne trouvez rien de concluant chez nos collègues, peut-être que vous pourriez voir s’il n’y a pas un rapport sur un dragon en ville qui s’amuserait à changer le physique des gens.

Ou échanger.
Et si vos apparences avaient été échangées ?
Et si l’agent Jäger s’était levé le matin avec une longue crinière de cheveux rouges ?
Et si l’homme était en route pour la brigade, malgré son jour de congé ?
Que se passerait-il, si tu te changeais en dragon ?
Aurais-tu ton apparence normale ?
Ou celle hypothétique du chef s’il était un dragon ?

Tant de questions qui se bousculaient dans ton esprit.

— On y arrivera jamais à trois, lanças-tu d’une voix défaitiste.

La curiosité l’emporta, ou plutôt tu la laissas savourer sa victoire quand tu adoptas une forme semi-draconique, tes cornes habituelles apparaissant sur le crâne brun du chef de division, ce qui indiquait sûrement que ta forme complète serait la même que d’habitude. Et quand était-il de tes clones ? Ton pouvoir allait-il te donner une copie conforme de l’agent Jäger, ou ton reflet habituel ?

Hélas, après avoir utilisé ton pouvoir, ce sont deux nouveaux agents Jäger qui grimacèrent devant toi, eux aussi mécontents de leur apparence.

Cette fois-ci, tu étais complètement perdue. Normalement, tu avais toujours un petit moment d’hésitation quand tu utilisais ton pouvoir : tes clones te ressemblaient, avaient la même personnalité ; elles étaient toi, tout en étant distinctes, dissociées.

Là, tes clones avaient l’apparence de l’agent Jäger, étaient d’humeur massacrantes, et tu n’avais clairement plus l’impression d’avoir ton reflet en face. C’était comme deux personnes totalement différentes.  

Et si c’était vraiment l’agent Jäger ? Tu allais devenir folle.

— J’ai besoin que vous m’aidiez, demandas-tu aux deux clones en pointant du doigt l’armoire.

Après avoir marmonné, ils se mirent à écumer les dossiers. Tu t’avanças vers l’agent sur l’ordinateur, et lui demandas s’il avait trouvé quoique ce soit d’utile.

Avec toute cette agitation, tu n’avais aucune idée de si la porte avait été fermée à clé de l’intérieur, ou si vous aviez complètement oublié. En tout cas, jusqu’ici, personne ne s’était faufilé dans la pièce, à part le pauvre agent Volkoff, écrasé par le squelette de dragon. Tu ne décelais aucun autre piège à destination de la prochaine âme à franchir la porte, malheureusement.

Lorsque ton collègue sur l’ordinateur affiche la page de recensement de deux dragons de la brigade, tu te précipitas pour lire le plus d’informations possibles. Le premier, Finn, était un agent de terrain, et tu savais qu’il était en mission en Espagne. Ce serait donc difficile pour lui de trouver le temps d’apporter son aide. En revanche, le second était un agent de la division de surveillance. Peut-être était-ce une blague de leur chef, l’agent Mochizuki ?

— Si on commence à convoquer toute la brigade dans le bureau de l’agent Jäger, ça risque d’attirer les curieux. Je préférerais éviter un passage de Klein ou Sonford…

De plus, cet agent appartenait à une autre division, l’agent Jäger n’avait probablement aucune raison pour le convoquer. Fallait-il lui téléphoner, et prendre le risque que la conversation soit enregistrée et écoutée plus tard ? Ou lui envoyer un SMS, son numéro personnel figurant sur sa fiche de recensement.

— On peut sûrement envoyer un mail… Ça s’efface, n’est-ce pas ? Personne n’ira fouiner dans sa boîte de réception si on ne se doute de rien.

Ça, et le fait qu’un hackeur de la brigade était sûrement plus susceptible de consulter ses mails pendant ses heures de travail le nez sur l’écran, que son téléphone…

Tu fis glisser l’ordinateur vers toi, cliquas sur l’adresse-mail renseignée, et tu commenças à expliquer la situation, optant pour un récit vague, et demandant s’il existe un pouvoir draconique capable d’altérer l’apparence de quelqu’un d’autre, et combien de temps ça dure.

— Plus qu’à prier.

Derrière, les clones continuaient de fouiller les dossiers, et, plutôt que de faire attention à l’ordre dans lequel ces derniers étaient rangés, les posaient aléatoirement sur l’étagère.